pierre mahéo


Des vêtements justes par leur universalité, qui jouent le confort avant la forme (comble de l’élégance). Pierre Mahéo, le fondateur d’Officine Générale, prône la constance, la durée et le réel.


Qu’est-ce qui nourrit ton style, quelle est la source de ton inspiration ?
Il y a une grande partie d'inspiration française et cinématographique de la fin des années 60, ce qu’on appelle la nouvelle vague avec mes acteurs fétiches : Belmondo, pour lequel j’ai une vraie faiblesse, Piccoli, Montand... Leur gestuelle de l’époque s’est perdue aujourd’hui. Tout chez eux était évocateur : la façon dont ils tenaient leur cigarette, dont ils portaient les vêtements, dont ils se tenaient. Depuis que la veste en cuir est arrivée, la cravate s’est dénouée, le look a l’air d’avoir changé totalement… Et pourtant ce sont finalement les mêmes produits. C’est simplement fascinant. Cette nouvelle vague porte bien son nom, puisqu’elle va et revient, et se révèle être une source d’inspiration inépuisable. Je continue de regarder, de redécouvrir des films, un détail peut surgir, et revenir deux ans plus tard comme une graine qui va me nourrir.
Il y a ce quartier de Saint-Germain, dans lequel j’ai la chance de vivre, dont j’ai pu apprécier les terrasses, comme partout où je vais d'ailleurs, que ce soit à Tokyo, New York ou Ibiza. Il faut prendre le temps de regarder les gens passer, il y aura toujours quelque chose, un jeu de couleurs, une forme, un détail qui a été emprunté avant de devenir propriété. Je travaille mes collections en prenant des notes qui décantent ensuite dans mon univers parisien. Prendre le temps de regarder est finalement le préliminaire de toute création.


Quelles sont les personnes qui constituent des références pour toi dans ton métier ?
Il y a quelqu’un que j’adore, l’un des derniers acteurs français qui parvient encore à dégager encore l’énergie de cette nouvelle vague, c’est Vincent Lindon. C’est le seul qui selon moi a les codes de cette génération. Il est d’une précision extrême dans ce qu’il porte : toujours le même costume, les mêmes chaussures… Finalement la même façon de porter les choses, d'associer le vintage dans ses tenues. Il a une véritable passion pour le vêtement sans jamais en parler pour autant, si ce n'est de façon privée. Il n’est jamais habillé par un styliste, car il se connait parfaitement. Quand tu arrives à te connaitre, à savoir ce qui te plait et te va, tout devient une évidence, une appropriation au-delà même de ta propre volonté.
Un peu comme Vadim sur le port de Saint-Tropez avec son t-shirt blanc et ses espadrilles : personne n’a fait mieux. On avait ces Godard, ces Truffaut, ces Jean-Pierre Léaud qui savaient si bien porter les choses. On nous a bassinés avec des Steve McQueen et des Marlon Brando : des icônes américaines, alors qu’en France, nous avons ce style et cette façon de porter les choses bien moins évidente et tellement plus codée et nonchalante que les américains. Nicholson, ce géant du cinéma, l'a dit lui-même : « tout a démarré avec la nouvelle vague en France ». C’est d'ailleurs la même chose pour les femmes. Je pense à "César et Rosalie" avec Romy Schneider, habillée en Saint Laurent de la tête aux pieds en permanence, c’est tout le style français de cet époque qui continue d’infuser dans les collections que l’on voit encore aujourd’hui.

As-tu une matière de prédilection, comment l’abordes-tu, quelle place a la matière finalement ?
Un vrai vêtement est la résultante d’une belle façon et d’une belle matière. La dissociation des deux ne peut être qu’un échec, autant dire : un demi-vêtement ! Mon grand-père était tailleur, il avait des magasins de tissus qu’il me faisait découvrir en les touchant. Il ne faut jamais oublier que le vêtement est d’abord tactile. La matière y est essentielle et sensible. Lorsque j’ai démarré Officine Générale en 2012, j’ai tout de suite eu la volonté de proposer des vêtements qui durent, qui vieillissent, qui laissent les traces du temps s’imprimer sur le tissu. C’est ce qui est à la fois le plus beau et le plus compliqué à réaliser. Je ne suis pas pour le vêtement jetable, cela faisait déjà sens à l’époque pour moi et c’est devenu une évidence pour beaucoup de nos clients.
Car le rapport au vêtement est différent quand il est fait pour durer, il y cette forme de complicité, de rapport sentimental qui se construit avec l’étoffe qui nous accompagne.
On connait les enjeux de besoin de nouveauté dans la mode, tout l’enjeu pour nous - et c’est passionnant - consiste à renouveler une forme évidente, à continuer à twister un vestiaire. Faire un hoody ou t-shirt oversize est tellement facile, mais proposer une veste qui tombe bien relève de la minutie et du détail du travail de coupe… La magie, la perception de la différence opèrent finalement quand on porte le vêtement. À partir de là, l'identité prime, sans strass ni glamour superfétatoire, l’inutile me déplait par dessus tout. Les objets doivent faire sens et vieillir, car seule l’évidence dure. Il est plus difficile de renouveler des produits simples que de jouer d’une extravagance qui étourdit pour souvent s’évanouir.

Y a-t-il des références dans le design ou dans l’architecture qui te parlent plus que d’autres ?
J’aime les formes assez brutes. J’ai une passion toujours intacte pour Tadao Ando, son mix de béton et de bois, de plantes… Sa Casa Wabi au Mexique est monument de beauté et de simplicité avec la terrasse, le couloir de nage au ras de la mer, le bois brut et les parois en béton. Il parvient à quelque chose de phénoménal avec seulement trois éléments.
Vervoordt, de la même façon, utilise un vocabulaire particulièrement restreint qui tient de l’uniforme, un assemblage sobre et précis entre code de matières et formes qui le rend à la fois intemporel et capable d'évoluer dans le temps.
« Cette nouvelle vague porte bien son nom, puisqu’elle va et revient, et se révèle être une source d’inspiration inépuisable. »
Tu parles d’uniforme justement, quel est le tien ?
Je ne fonctionne que par uniforme, le mien est structuré autour de trois couleurs : du bleu marine, blanc, gris, avec une touche de bleu ciel et d’olive. Je suis habillé systématiquement et chaque jour de la même façon autour de ces trois couleurs. Je porte deux types de pantalons avec t-shirt blanc et veste grise. J’ai fait une croix sur la couleur. Je vois trop de tissus au quotidien pour vouloir réfléchir le matin. On a sacrifié le confort sur l’autel du look. Ce qui compte, c’est de savoir que je serai bien dans mes vêtements.

La contrainte nourrit, tu évoques le nombre restreint de couleurs, de matières… Comment décrirais-tu ton processus créatif ?
Je suis incapable de créer un vêtement que je ne pourrais pas porter. Mon prisme n’est pas très large, j’y vois une forme d’honnêteté dans ce que je propose. Je n’ai pas envie de fantasmer l’autre. C’est peut-être une limite et pourtant je ne le vis pas comme une contrainte mais j’accepte au contraire ma réalité. Pour savoir créer, il faut accepter de se connaitre. Je conçois des produits qui me font envie, de façon quasi autobiographique finalement. Je reste dans un univers précis mais que je veux ultra accessible/universel, l’humilité rend toujours les choses élégantes. C’est aussi pour cela que j’aime passer du temps dans mes boutiques, à servir certains clients qui ne me reconnaissent pas encore, qui me permettent de continuer d’apprendre. Je sors de mon cadre personnel uniquement pour la couleur, car je veux offrir à mes clients un choix plus vaste que celui que je porte au quotidien.

Quel est le rapport au contrôle que tu as dans ta vie, comment gères-tu cela ?
Je suis un addict du travail. Je ne connais pas le break. Je suis incapable de m’arrêter, j’ai besoin de vivre les choses en direct. J’ai passé des caps, j’ai pris le temps de m'analyser pour me rendre compte qu'il faut briser le principe d’omnipotence, car on ne peut travailler seul. Il faut savoir s’entourer pour retrouver du temps et de l’espace à la création et au style, ce temps de la vacuité et du calme qui permet de se ressourcer et de reprendre son souffle. La perte de recul est un danger dans mon métier. Savoir déléguer c’est reprendre le pouvoir sur la création et le produit.
Ma vie personnelle et professionnelle sont mélangées, sans réelles frontières, je m’efforce de redonner du temps à la création mais aussi à la relation. Le luxe du temps, c’est qu’il est compté. Quand les semaines deviennent trop courtes, c’est qu’il faut changer quelque chose.
« Je suis incapable de créer un vêtement que je ne pourrais pas porter. Mon prisme n’est pas très large, j’y vois une forme d’honnêteté dans ce que je propose. Je n’ai pas envie de fantasmer l’autre. »
Un endroit de prédilection où te trouver habituellement ?
Dans notre maison de famille dans le Luberon, ou au nord d’Ibiza avec sa terre rouge qui me fascine. J’aime être à proximité de la mer, qui m’apaise car elle fait écho avec mon enfance et la Bretagne où je suis né. Je suis aussi très à l’aise à New York, c’est une sorte de seconde maison qui me manque énormément puisque je n’ai pas pu y retourner depuis le mois de février à cause des circonstances actuelles.

Justement, à New-York, le Mercer dessiné par Liaigre (qui nous a quitté récemment) est un hôtel immuable dans lequel tu descends systématiquement. Tel un rituel… Quels sont tes rituels dans la vie ?
Je suis effectivement très attaché aux rituels, je peux descendre dans ce même hôtel sans jamais me lasser, demander la même chambre, prendre mon café systématiquement au même endroit et dîner dans le même restaurant à New York, et manger la même chose pendant des jours. Je crois que l’immuable nous permet finalement d’avancer, au grand damn de ma femme ! Tous ces petits détails fixes, cette quasi méthodologie quotidienne me rassurent.

C’est une façon de libérer de la bande passante, de ne pas passer à côté de quelque chose pour rester concentré ?
Oui complètement, comme pour les sportifs finalement, il s’agit de se mettre dans les bonnes conditions, psychologiques et physiologiques. Sans elles, la performance n’existe pas. On en revient à cette notion de confort qui m’est indispensable. Cet hôtel, le Mercer, est devenu un repère, il m’assure un repos visuel, un repère immuable qui ne se met pas en travers de mon cheminement, qui me permet de garder le fil.

As-tu un objet fétiche ? Combien pèse-t-il ?
Ma vieille montre que je porte depuis plus de 25 ans, soin poids est devenu nécessaire à mon poignet. Mon équilibre s’est créé par rapport à ce poids précis.
J’ai d’autres montres, achetées sur des coups de coeur, mais je n’arrive pas à les porter, seule celle-ci m’apaise, elle crée un vide, une absence quand je ne sens pas ce poids unique qui la caractérise. Je me suis donc promis de ne plus acheter d’autres montres.
Mon deuxième objet fétiche serait des Converse, que j’arbore toute l’année et que je porterai toute ma vie, je rêve d’un partenariat avec Converse.

Si le gramme était un vêtement, lequel serait-il ?
Un manteau bleu marine en cashmere double de 900g, inusable…
« Le luxe du temps, c’est qu’il est compté. Quand les semaines deviennent trop courtes, c’est qu’il faut changer quelque chose. »
son accumulation
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